Tu danses au milieu de votre appartement, défoncée. Tu es jetée à l'acide, un état courant dans cette antre aménagée spécialement pour guédros tels que vous. Tu te meus, éthérée, tes cheveux blond sale tombant sur ton visage. Tu restes immobile, sur place, plantée en plein milieu. Tes hanches sont seules à trahir le trip musical qui résonne dans ton esprit. Ta voix rauque chantonne tout bas, lancinante. Tu ne sais pas depuis combien de temps tu es comme ça, ça fait peut-être une minute, une heure, dix heures ? En tout cas, c'est bon.

La porte claque mais tu ne l'entends pas. Ce n'est pas ça qui parviendra à t'arracher à ton trip si facilement. Mais voilà, la voix de Kat' résonne soudain à tes oreilles, et elle, tu ne peux pas ne pas l'entendre. Cette garce de rouquine qui t'a récupérée déjetée un soir, parce que ton accent lui rappelait le pays, pour l'aider à payer le loyer de cet appart' dégueulasse recouvert de merdes datant de soirées vieilles d'un mois ou plus. Cette garce qui te prend et te jette comme un mouchoir quand ça l'arrange, qui se fait jouir avec toi pour te traiter de salope la minute d'après, cette garce sans laquelle tu ne pourrais plus vivre aujourd'hui, parce que ses insultes te démolissent mais que les secondes où elle daigne t'honorer de son attention te remplissent d'un bonheur plus intense que n'importe quelle poudre, n'importe quel shoot.

- Je sais pas, réponds-tu avec ton air de conne évaporée que tu as toujours défoncée. J'suis pas une pute, dis pas ça. J'ai pas baisé depuis trois jours.

Ta voix est rêveuse même en disant ça. Tu ressembles à une Luna Lovegood de la street.

- C'est de ta faute, ta faute, chantonnes-tu sur l'air d'Eminem.

C'est vrai que c'est sa faute. En bonne mytho, t'es bien convaincue que sans elle, jamais tu n'aurais sombré dans les poudres et les buvards, mais c'est totalement faux. Elle a raison, t'es conne quand t'es sous acides, mais t'es aussi conne quand t'es pas sous acides, et à vrai dire, n'importe qui t'aurait proposé cette merde que tu te serais jetée dessus pour faire ton intéressante. Pourtant, alors qu'elle te force à la regarder dans les yeux, tu lui balances ces paroles dans la gueule en une accusation éphémère qu'elle te fera ravaler, tout de suite, demain, ou peut-être dans dix ans. Mais elle n'oublie jamais quand tu te fous de sa gueule comme ça. Le flou de tes yeux s'évaporent soudain, la musique s'est assourdie dans ta tête. Tes prunelles se parent d'une étincelle de gourmandise et tu parcours son corps des yeux, de haut en bas, en prenant bien ton temps.

- Toi aussi t'es bonne.

Les notes de You can leave your hat on te viennent aux lèvres et tu les sifflotes joyeusement, en accentuant tes mouvements de bassin, tout contre le sien.

Sa phrase te précipite dans un bonheur imprévu qui agrandit encore ton sourire défoncé et le vide présent dans tes yeux. Si elle n'avait pas prévu de le faire, et qu'elle le fait quand même... c'est que tu lui plais, hein ? Oui, tu lui plais, tu as réussi à retenir son attention, toi toute seule, parce que t'es belle, si magnifique, et si douée, tu chantes bien, tu danses bien, elle t'admire et veut te sauter parce que tu en vaux bien la peine, toi la meilleure parmi tous ces déchets qui vous entoure. Tu y crois dur comme fer et tu ne comprends pas ce qu'elle veut dire ensuite. Tu ne sens pas la douleur à ta mâchoire enserrée entre ses doigts, qu'elle ferait exploser si elle en avait la force, tu ne sens pas non plus ta lèvre qui se déchire sous ses dents, libérant un goût métallique sur vos langues qui s'entremêlent. Pourtant, tu es triste ; tu sens bien qu'aujourd'hui, elle n'est pas heureuse, qu'elle ne sera pas tendre, et son attitude fissure la bulle de ton trip.

- T'es pas sympa, Kat', gémis-tu. Moi j'te fais toujours jouir, et toi tu t'occupes jamais d'moi comme il faut.

Pourtant tu ne la repousses pas, collée à elle, une main posée sur son sein que tu tripotes comme de la pâte à modeler, parce qu'au fond, elle voudrait faire de toi sa chienne que tu serais obligée de lui obéir. C'est peut-être même déjà le cas, sans que tu t'en sois jamais rendue compte.