Malo s'était mis à boire, non par un heureux hasard, mais parce qu'il avait décidé d'arrêter de prendre les gens pour des cons. Intention louable.  

Du haut de ses 22 printemps, il avait pas mal vécu : autant de drogue que la majorité de ses amis, un nombre de filles acceptable mais bien en deçà de la plupart de ses amis, l'amour, une fois. Peut-être deux, il n'était jamais vraiment sûr de rien. Et puis une année Erasmus à Rennes, fière capitale bretonne, où m'a fois, il avait pris du bon temps. Mais la grande découverte, et claque, de la vie de Malo avait eu lieu le jour de ses 12 ans, lorsque ses lèvres ont effleuré son première bock de bière. Malade à en crever toute la nuit, et une bonne partie de la journée, son père s'était moqué de lui puis lui avait offert son premier vinyle, un 45 tours des Clash qu'il chérie toujours, pour chérir son état de mort en sursis. Car, après tout, c'est l'état dans lequel il est depuis.

La boisson avait réussi ce que les autres avaient désespéramment tenter : équilibrer ses humeurs. Elle lui permettait d'avoir une sorte de bienveillance pour autrui ; au lieu de se moquer des gens, il les plaignait désormais. Et pour tout dire, il était le premier à bénéficier de cet état. Tous ses soucis prenaient des proportions bien plus importantes, le moindre obstacle prenant des allures disproportionnées. Et bien malgré lui, il avait pris la mauvaise habitude de pleurer sur les chemins nocturnes.Malo le savait : depuis ses 17 ans, âge auquel il s'était fait la malle de la maison familial pour mener la vie de bohème à Berlin, il n'avait plus d'autre famille que les personnes qui acceptaient de partager sa vie.

Mais hier encore, Malo était triste. Que fait-on le jour où une jeune fille bien sous tous rapports vous dit qu’elle ne pourra jamais vous aimer ? La prescription est à la cuite. Malo s’était donc plié à la tradition … Non sans malice. Pour s’assurer la présence bienveillante de ses amis dans une étape de débauche égoïste, il leur avait monté un piège en épingle : proposer un plan, surtout un nom, que personne ne pouvait refuser sans une bonne raison. Et pour ne pas inquiéter l’œil amical qui tend le cil, il avait bu avant. Personne ne pourrait lui reprocher sa déchéance car ils n’en verraient que le résultat et non l’action ... Malo avait donc bu avant de venir. Boisson solitaire pour mieux profiter de l’ivresse commune. Il arriva au Tresor déjà assez attaqué. Enfin, juste ce qu’il fallait pour ne pas trop pester sur la nouvelle politique de la salle en matière de prix, tout ayant augmenté dans ce lieu. C’était à son sens oublier que l’on est plus pauvre à vingt ans qu’à seize … A l'intérieur, les mêmes ganaches qui te saluent, des nouvelles têtes qui se dodelinent et ses filles en reppeto noir qui se trémousse. Discrètement pour ne pas trop transpirer. Selon son habitude, Malo appréciait sa solitude notable dans cet ensemble de corps.

Tout était normal dans son univers. Mais pour combien de temps ? A 22 ans, Malo avait remarqué quelque chose : c’est que la jeunesse s’effrite trop vite. Avec les années, l’excitation ne rencontrait que trop souvent la déception. Ce qu’il croyait être une croisade n’était en fait qu’un moulin tournant grâce au seul souffle d’une génération qui finissait toujours en sacrifice.

Un jour ou l’autre, les jeunes filles arrêtent de danser. Car elles arrêtent d’être jeunes. Et Malo vieillit a chaque déhanché de moins.  

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